Pour les clubs du canton de Berne, la nouvelle saison s’amorce avec une certaine désillusion. Si Langnau a déjà bâché sur l’exercice en cours pour des raisons financières, Bienne nage quant à lui en plein doute. Pour le SCB, les signaux de fumée qui émanent de la capitale depuis une année ne proclament en rien l’élection d’un nouveau pape.
Le cas des Emmentalois n’émeut pas franchement dans notre coin de pays. Il n’en demeure pas moins que les Tigers font preuve d’une immense sagesse au regard de leur comptabilité. Le club de cœur, qui vit à l’ombre du CP Berne, profite du répit de relégation pour sabrer dans ses dépenses. Peu flamboyant à l’accoutumé, ils sont spécialement inoffensifs cette saison. Entre détresse ou sagesse, il fallait choisir. Et les fans leur pardonneront, habitués qu’ils sont à leur statut d’outsider.
Le HC Bienne semblait plus à l’aise dans les « starting blocks » lors des précédents exercices avec des départs canons. Des acquis qui lui avait permis de traverser les mois de brouillard dans le Seeland avec sérénité. Le sympathique Anti Törmanen absent, l’entraineur intérimaire Lars Leuenberger avait pour mission de poursuivre dans la continuité. Sa nomination à la tête de l’équipe trouve en effet sa justification dans le fait qu’il connaissait le système du finlandais. Selon les dires officiels de Martin Steinegger du moins.
Mais l’ancien coéquipier et ami de Stoney a pourtant choisi un système de jeu beaucoup moins passif. Et les statistiques avancées démontrent clairement ce changement de philosophie. Le Corsi For, exprimé en pourcentage, donne une indication sur le temps de possession de la rondelle. On additionne l’ensemble des tentatives de tirs en faisant l’hypothèse sous-jacente que plus vous tentez de tirer, plus vous avez souvent le puck et plus vous passez de temps en zone d’attaque. En dominant ainsi les débats, la théorie voudrait que vos chances de gagner soient meilleures sur une longue période. Une sorte de loi de la moyenne.
La saison dernière, Bienne avait le pire Corsi en pourcentage de la ligue avec 44%, en adéquation avec le style attentiste pratiqué. En ce début du championnat, le EHCB affiche un Corsi impressionnant de 56%. Un sommet dans la ligue, rien de moins. C’est dire que les hommes de Leuenberger sont plus enclin à attaquer en portant la rondelle. En considérant leur taux de réussite quasiment dans la norme devant les gardiens adverses à 8.2%, les statistiques pointent dans la bonne direction. Toujours en théorie bien sûr.
Le souci est qu’en pratiquant ce style, on ouvre drastiquement le jeu, ce qui provoque des contre-attaques dangereuses. Cela permet aux adversaires d’entrer dans le territoire biennois avec plus de rapidité, mettant sur les talons les défenseurs plus lents comme Beat Forster, qui cumule un piètre différentiel de -10. Un constat affligeant pour le vétéran qui est nettement moins efficace lorsque le match s’accélère. Yannick Rathgeb, avec ses criantes lacunes défensives, n’est également pas en verve dans ce style de jeu (-7). Et contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, Tony Rajala ne brille pas non plus à cinq contre cinq dans ce nouveau concept.
Entre revirements et autres égarements tactiques, Bienne accorde beaucoup trop de surnombres. Et les gardiens subissent eux aussi les assauts adverses de plein fouet. En conséquence, leurs pourcentages d’arrêts sont anémiques, largement en dessous du minimum légal de 90%. Si on ne peut logiquement pas les accuser de tous les maux, ils semblent néanmoins incapables d’effectuer les « big saves » nécessaires pour remporter des matches sur une base régulière.
Tous savaient que l’après Jonas Hiller serait délicat et que le risque inhérent à l’engagement d’un jeune gardien tel que Joren Van Pottelberghe était immense. Même si l’échantillon est miniature, le constat actuel ne rassure pas. L’arrivée de Hiller, conjuguée à la nouvelle patinoire et le départ de Kevin Schläpfer, avait donné une magnifique impulsion à l’équipe. On espère maintenant que son départ n’aura pas l’effet inverse tellement la communion du club avec le tissu économique local semble idyllique. N’empêche que l’expression « l’arbre qui cachait la forêt » est dans tous les esprits.
Depuis la saison dernière, les ours bernois ne démontrent plus la même envergure. Exclus des playoffs, ils avaient joué à la roulette en choisissant Niklas Schlegel comme gardien numéro un. Une décision qui avait déplu à l’entraineur Kari Jalonen qui n’a pas hésité à aligner Pascal Caminada plus souvent qu’à son tour. En défiant ainsi le directoire du grand CP Berne, les jours du coach étaient comptés. L’engagement du gardien étranger Tomi Karhunen et de l’éternel Hans Kossman n’ont rien changé. La chute fut abrupte pour l’empire sportif bernois qui n’avait épaté personne dans la construction de son contingent.
Le directeur sportif Alex Châtelain, responsable désigné, est remplacé par Florence Schelling en plein confinement. Un coup marketing largement salué par toute la planète hockey, mais avec une forte dose de politiquement correct. Un incontestable écran de fumée qui n’a pas duré. Le début de saison mitigé et les nombreux problèmes autour de l’entraineur en témoignent. Les joueurs se plaignent volontiers et le plaisir n’y est visiblement plus. Même Gaétan Haas, l’homme providentiel, en arrache sérieusement. Et malgré les résultats, le CP Berne choisit de jouer avec seulement trois étrangers, dont un gardien. Peut-être trop onéreux en ces temps d’austérité, même à Berne. L’heure est grave.
En vérité, les problèmes du SCB sont peut-être plus profonds. Le modèle d’affaire créé par Marc Lüthi est remarquable et continuera de fonctionner après la crise. Le problème, c’est que de nombreux clubs ont érigé de nouvelles patinoires très confortables et augmenté radicalement leurs revenus. Avec pour conséquence un marché des transferts plus compétitif, synonyme d’augmentation des salaires. Une concurrence accrue également sur les avantages marginaux tel que le confort des installations sportives. Les temps changent et les générations Y et Z sont plus exigeantes que les précédentes sur la qualité de vie. Ils sont aussi plus sensibles au mode de gestion des clubs.
À ce titre, l’igloo de la PostFinance Aréna est devenu très ordinaire et n’attire plus forcément les joueurs. Au niveau financier, le CP Berne n’arrive plus à offrir ce « petit plus » qui faisait la différence auparavant. La longueur des contrats octroyés à Tristan Scherwey (7 ans) et Simon Moser (5 ans) témoignent d’une nouvelle stratégie consistant à jouer sur la durée, faute d’offrir plus de pécune. La compétition est devenue féroce et les joueurs regardent maintenant sur d’autres détails. Qui ne sont pas nécessairement favorables à Berne d’ailleurs. Il suffit de regarder la liste de leurs transferts des dernières années pour vous en convaincre.
En extrapolant juste un peu, il est permis de se demander si le plafond salarial et l’augmentation du nombre d’étrangers n’arrivent pas au moment opportun pour le club de Lüthi. Comme il ne peut désormais plus régater avantageusement dans le contexte plus compétitif actuel, la modification des règles pour aplanir les différences entre les équipes tombe à pic. Une façon également d’empêcher certains clubs en plein essor de se démarquer. Machiavélique peut-être, mais à méditer tout de même. Car le hasard est une loi que tout le monde applique sans le savoir parfois.
L’occasion aussi de remplacer l’adage populaire « à la fin, c’est Berne qui gagne » par le nouveau « à la fin, c’est Berne qui y gagne ».
Bonne semaine à tous
Stéphane