Signé Stéphane – Choisir le « moins pire »

Le directeur sportif de Genève a récemment avoué que la situation de son jeune joueur de 20 ans Keanu Derungs était très compliquée. Des propos qui reflètent parfaitement la position dans laquelle se retrouvent nos meilleurs espoirs à la sortie des juniors. 

Derungs était un joueur « plus que correct » dans la Canadian Hockey League (CHL), où il a passé les trois dernières saisons. Ses statistiques se comparent facilement à celles d’autres joueurs suisses passés par là avant lui. Des joueurs qui remplissent aujourd’hui des rôles importants en National League.

Si on se fie aux nombreux exemples du passé, un joueur de sa trempe devrait être intégré sans problème en NL. Mais en raison de la profondeur évidente du line-up genevois, le jeune homme n’a pratiquement pas touché la glace depuis le début du championnat (1:37 au total en 3 matchs). Une situation inhabituelle, même si nous ne sommes qu’en octobre.

Car sauf à de très rares exceptions, dont celle de son frère Ian Derungs, les joueurs sortant de la Canadian Hockey League sont pratiquement toujours passés directement en National League à leur retour au pays à la fin de leur stage junior.

Et c’est sans compter ceux pour qui la CHL fut un véritable tremplin vers la NHL : Hischier, Meier, Kurashev, Sbisa, Müller, Bärtschi, Andrighetto et Weber. Ou encore vers l’American Hockey League à l’exemple de Richard, Thürkauf et Tim Bozon.

L’entraineur du GSHC, Jan Cadieux, fut d’ailleurs l’un des premiers à emprunter la route du développement nord-américain. Il est en outre passé directement de l’Océanic de Rimouski, un club junior québécois, à Lugano à seulement 20 ans.

La liste des principaux joueurs qui se sont expatriés au Canada pour revenir directement (ou presque) en National League est assez éloquente :

Arnaud Jacquemet 
Alessio Bertaggia 
Dominik Schlumpf
Lino Martschini 

Denis Hollenstein
Fabrice Herzog 

Jason Fuchs
Kay Schweri 

Luca Cunti
Michael Fora 

Christian Marti
Vincent Praplan 

Dave Sutter
Dominic Zwerger (AUT)

Yannick Rathgeb
Justin Sigrist 

Kyen Sopa
Simon Le Coultre 

Nico Gross
Nando Eggenberger

Valentin Nussbaumer
Inaki Baragano 

David Aebischer
Simon Knak 

Auguste Impose*
Gaétan Jobin* 

Noah Delémont*
Stéphane Patry* 

Gilian Kohler*

*** À son retour, Auguste Impose a joué une saison en LNA à Genève avant de poursuivre en LNB. Gaétan Jobin s’est baladé entre la SL et la NL tandis que Noah Delémont, revenu du Canada à seulement 18 ans en raison de la pandémie, a transité par La Chaux-de-Fonds. Gilian Kohler et Stéphane Patry, également de retour en Suisse à 18 ans après un bref passage en CHL, ont dû faire un saut en arrière dans les U20 élites avant d’évoluer en National League à 20 ans.

La nouvelle réalité

Si le passage direct entre la filière junior canadienne et la NL ne faisait pratiquement aucun doute jusqu’ici, cela pourrait désormais être remis en cause en raison, notamment, des six étrangers. Un changement qui fait clairement descendre la majorité des joueurs suisses dans la hiérarchie des clubs.

La compétition accrue au sein des équipes et l’augmentation du niveau de jeu fera en sorte que l’intégration des jeunes sera non seulement plus difficile, mais probablement retardée de quelques saisons. Ce qui n’est pas dramatique en soi si les années de transition entre la fin des juniors et la NL sont gérées correctement.

Un peu comme on le fait en Amérique avec la AHL, constituée d’équipes sous la gouverne des clubs de NHL. Une vraie ligue de formation qui limite le nombre de « vétérans » pour faire place à des joueurs en « développement ».

Sauf qu’en Suisse, c’est là où le bât blesse, comme l’a très bien expliqué Marc Gautschi lorsqu’il s’est exprimé sur les options qui s’offrent à lui concernant l’avenir immédiat de Derungs. Un constat plein de lucidité qui soulève la réelle problématique sur l’avenir de nos futurs stars helvétiques.

Partir ailleurs en NL

La première option serait de prêter le jeune talent à une équipe moins forte de NL. Mais dans ce cas, selon Gautschi, Keanu ne verrait pratiquement pas le puck. Un constat cinglant qui traduit tout de même un certaine réalité. On pourrait aussi ajouter que choisir un club moins étoffé pour obtenir plus de glace reste un pari risqué.   

En effet, si un jeune n’arrive pas à percer l’alignement en raison de l’urgence de résultats ou du danger de relégation, on hésitera à l’embaucher dans le futur. Avec le risque de devoir basculer en Swiss League et de se retrouver avec l’étiquette de « bon joueur de ligue B ». Une réalité souvent évoquée par les agents.

Passage en Swiss League

Une deuxième option disponible, celle d’envoyer le jeune Derungs en Swiss League, n’est pas garant de succès non plus. Car toujours selon Gautschi, la qualité de l’entrainement n’est pas aussi bonne. Sans parler de l’inquiétante perte de contrôle sur l’utilisation et le développement du joueur.  

De plus, pour un joueurs en provenance du junior canadien, le passage en Swiss League ne constitue pas forcément un saut en avant. Parce que le niveau moyen de la deuxième division suisse, sous sa forme actuelle, n’est de loin pas supérieur à celui de la CHL. Le « compete level » y est même très souvent inférieur.

On pourrait aussi, au passage, mettre un terme à cette légende urbaine qui voudrait qu’un jeune arrivant du Canada peut « apprendre à jouer avec des hommes » en Swiss League. Parce qu’il n’y a tout simplement pas de différence au niveau des gabarits et que l’engagement physique est nettement plus élevé sur les glaces de CHL !

L’apprentissage avec le hockey « d’homme » en Swiss League reste cependant valable pour les jeunes en provenance des U20-Elit suisses, là où le niveau général est largement inférieur à celui notre deuxième division. Un immense chantier auquel il faudra d’ailleurs s’attaquer pour stopper l’érosion du niveau de nos U20.

Prendre son mal en patience

Reste finalement la troisième et dernière option qui consiste à demeurer dans l’entourage du club de National League avec le risque de ne pas avoir beaucoup de glace mais en ayant l’occasion de développer de bonnes habitudes de travail et passer beaucoup de temps dans la salle de gym. De pouvoir aussi s’entrainer au quotidien avec des pros en attendant patiemment qu’une place se libère.  

Entre le pire et le moins pire, il faut malheureusement choisir.

Bonne semaine à tous !
Stéphane