L’étonnante décision des clubs de continuer à huis clos trouve maintenant tout son sens. Ils ont finalement reçu les aides promises nécessaires à leur survie. Des prêts mais surtout d’importantes sommes à fonds perdus de la part de l’état. Le tout assorti à certaines conditions, dont la baisse des salaires des joueurs.
En voulant sauvez le sport professionnel, les politiciens s’exposaient à des vives critiques. Parce que selon l’opinion de nombreuses personnes, les joueurs seraient trop payés. Il n’y aurait aucune raison de sauver le business d’athlètes privilégiés alors que d’autres souffrent autant de la crise. Alors pour faire passer la pilule, on impose certaines conditions, tout aussi vertueuses les unes que les autres. Parmi celles-ci, une baisse de 20% sur les salaires jugés … excessifs. Une limite annuelle fixée à environ 150’000 francs, basée sur les chiffres de l’assurance perte de gain. À ce tarif, il existerait donc beaucoup de salaires trop élevés en Suisse.
Nous vivons dans une société profondément capitaliste dotée d’un filet social bien développé. Le modèle suisse est d’ailleurs cité en exemple et envié à l’étranger. Il se base notamment sur la libre fixation des salaires. Un système économique qui obéit essentiellement à la loi de l’offre et la demande. Plus les ressources personnelles que vous possédez sont rares et valorisées par la société, plus vous gagnez d’argent pour exercer votre métier. Des principes fondamentaux qui font de la Suisse ce qu’elle est aujourd’hui. Et tout le monde trouve ça normal.
Sauf quand il s’agit de sportifs. Pourtant, selon notre logique économique, les athlètes professionnels possèdent une ressource très rare. Qui se nomme « talent ». Et dans notre société les joueurs talentueux sont recherchés et très valorisés. On adore les regarder surtout lorsqu’ils font gagner notre équipe favorite. Pas moins de douze équipes se les arrachent dans un minuscule pays comme la Suisse. Les patinoires sont presque pleines (en temps normal) et les droits TV se vendent bien. Des sponsors s’associent aux noms des patinoires et les loges corporatives trouvent facilement preneur.
Dans ce marché, tous y trouvent son compte. Les clubs fonctionnent et continuent à se développer autour de patinoires confortables offrant un produit qui dépasse le cadre du hockey. On se rend aux matches pour assister à un spectacle et se divertir. Un modèle d’affaire qui tourne bien avec les charges actuelles. Les salaires versés aux artistes qui font le show sont donc justifiés du point du vue strictement économique. Les courbes d’offre et de demande se rencontrent pour fixer le niveau actuel de rémunération. Ni plus ni moins.
Ce qui cause problème dans l’opinion populaire, c’est qu’il s’agit de sport. Pour certains, il est inconcevable qu’on soit payé autant pour jouer. L’idéologie répandue voudrait qu’il existe des jobs plus importants qui sont nettement moins bien rétribués. Sur le principe très subjectif de l’importance relative de ce travail, on devrait donc légiférer pour limiter les salaires des sportifs et en revaloriser d’autres. Et ne plus appliquer les fondamentaux de notre société capitaliste. Placer ainsi l’état interventionniste en juge suprême du niveau des salaires en fonction du mérite. Un engrenage dangereux qui relèverait d’autres valeurs que les nôtres.
Lorsque des chanteurs ou des stars des réseaux sociaux gagnent des millions en vendant leurs créations, parfois douteuses, on ne trouve rien à redire. Les gros cachets des artistes vedettes de Paléo Festival n’interpellent pas les tonnes de gens qui s’y rendent chaque année. Leur talent vous fait vibrer et vous payez cher pour assister aux concerts. Le prix des billets et les salaires élevés des artistes sont fixés en conséquence sur des bases économiques saines. C’est du business. Et ça ne défrise personne.
Les autorités du canton de Vaud avaient déjà versé des aides de 39 millions aux milieux culturels l’été dernier pour traverser la crise. Selon le quotidien « Le Temps » du 2 juillet 2020, le Montreux Jazz Festival aurait touché 3,4 millions d’aide. Paléo de son côté comptait sur un dédommagement de plus de 4 millions, soit environ 80% de sa perte estimée à 5,5 millions. Est-ce que les cachets des artistes devront être impérativement réduits dans l’avenir au même titre que ceux des hockeyeurs ? La question mérite d’être posée. Je vous invite d’ailleurs à lire l’article « Des millions pour les millionnaires de Paléo ? » publié dans le même journal le 26 juin dernier.
J’ai le sentiment que le sport ne jouit pas des mêmes lettres de noblesse que la culture face à nos politiques. Que pour eux, le hockey et le football sont l’apanage de la masse populaire. Idem au niveau des écoles en ce qui concerne les structures sports-études. Et je sais de quoi je parle. Je dirais que même les priorités écologiques ne sont pas identiques lorsqu’on parle d’activités artistiques. Les traditionnels spectacles d’Art on Ice se déroulaient toujours dans une patinoire de Malley … chauffée. De même, les compétitions de patinage artistique à Lausanne méritaient une température intérieure plus agréable. Mais pour le hockey et ses fans, jamais.
Oublions la crise actuelle et considérons qu’elle sera bientôt chose du passé. En temps normal, avec le niveau des salaires versés, on peut affirmer que les club s’en sortent bien et ne perdent pas d’argent. Les résultats annoncés en fin d’exercice financier semblent toujours proche de l’équilibre budgétaire. Très souvent à quelques milliers de francs près sur des budgets de 15 à 25 millions. Une déconcertante précision qui mérite d’être signalée au passage.
Certains évoqueront une distorsion du système de l’offre et de la demande avec le soutien de mécènes pour colmater les brèches en fin d’année. Ils pourraient d’ailleurs être plus de dix milles à briguer le statut de mécènes au CP Berne cette année. Mais l’apport conséquent de généreux donateurs, certes risqué en cas de désistement, fait partie intégrante de la demande du point de vue économique. Car ces personnes riches y trouvent une contrepartie en terme de visibilité ou de notoriété. Ce qui n’est pas négligeable pour eux.
Sur l’aspect purement économique, on peut considérer que la situation du hockey est relativement saine. Le prix des billets est juste puisque les gradins sont bien garnis. Les sponsors y trouvent leur compte et en conséquence, joueurs et dirigeants sont plutôt bien payés. Les revenus générés sont candidement redistribués aux acteurs qui assurent le spectacle. À ceux qui prennent des risques pour leur santé et qui exerceront ce métier pendant dix, quinze, vingt ans au maximum. Une affaire qui roule en somme.
Dans ce contexte, l’imposition d’un plafond salarial relèverait de la volonté des clubs à dégager des profits. Car ne soyez pas dupe, ils n’envisagent pas de réduire le prix des billets en cas de contrôle des salaires. Bien au contraire, les affaires seront florissantes avec les nouvelles patinoires. Les revenus générés par certaines équipes prendront l’ascenseur. Sauf que contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, les actionnaires veulent désormais partager les gains supplémentaires. Une réalité qui concorde avec notre système économique capitaliste.
Et si on sortait de notre logique club employeur, joueur employé. En considérant les athlètes d’aujourd’hui comme de véritables PME. Qui vendent, comme des artistes, leurs prestations par l’intermédiaire d’agents qui veillent à assurer la qualité du produit. Et plus leurs performances sont uniques et demandées, plus elles sont chèrement facturées à des sociétés productrices de spectacles. Mieux connues sous le nom de « clubs ». Qui s’exercent à créer des événements récurrents autour d’un groupe d’artistes regroupés sous un maillot identique. Ceci dans un cadre confortable et accueillant. Avec des metteurs en scène, communément appelés entraîneurs, qui ont la lourde responsabilité de rendre l’événement intéressant.
Une vision des choses qui permettrait de transposer le sportif en véritable artiste dans l’imaginaire collectif. Et de justifier plus facilement les aides gouvernementales apportées grâce à toute la noblesse de l’art.
Bonne semaine à tous
Stéphane