La crise actuelle a donné l’opportunité à certains clubs de mettre sur la table des projets qu’ils caressaient depuis un moment. Le contrôle des salaires et la gestion de la concurrence sur le marché des transferts. Si l’introduction d’un plafond salarial ne défrise personne pour l’instant, l’éventuelle augmentation du nombre de joueurs étrangers déchaîne les passions.
On devait être vers le début juillet. Au téléphone, une personne bien placée dans le hockey suisse m’annonce que les dirigeants profiteront de la situation actuelle pour passer leurs idées. Selon lui, on se dirigerait vers une augmentation du nombre étrangers jusqu’à dix et la mise en place d’un plafond salarial. Si je n’avais pas eu une confiance totale à mon interlocuteur, j’aurais cru à un canular.
Vacances obligent, un mois s’écoule sans qu’aucune information ne filtre. Vers la fin août, on apprend l’existence d’une trace écrite du futur projet classé « top secret ». Mais tout le monde nie avec véhémence et peu de gens y croient.
Pourtant, toutes ces informations privilégiées ont été confirmées récemment. Les médias se sont aussitôt emparés du sujet à grands cris, surtout outre Sarine, alors que les premiers dés étaient déjà jetés. La vox populi s’est aussi fait entendre et ne veut rien savoir d’une ligue à dix étrangers.
Pour les fans, il s’agit avant tout d’un débat idéologique. S’ils aiment le maillot de leur équipe, ils préfèrent visiblement qu’il soit porté en majorité par des hockeyeurs de chez nous. Une opinion qui est légitime et dont je partage largement les fondements. Et s’ils n’adhèrent pas aux nouvelles valeurs, les fans pourront toujours annuler leur abonnement comme sanction ultime.
À contrario, pour les clubs, il s’agit d’une question purement économique. Ils souhaitent faire diminuer les salaires en augmentant la concurrence autour des joueurs de soutien. En résumé, les directeurs sportifs se demandent pourquoi ils devraient payer très cher un produit suisse alors qu’on trouve une qualité équivalente à moindre coût en dehors des frontières. Le label suisse a un prix, certes, mais jusqu’à quel niveau.
On pourrait résumer leur état d’esprit par le dicton suivant : « tout ce qui est bon est forcément cher, mais tout ce qui est cher n’est pas forcément bon ».
Certains qualifient cette attitude d’outrageuse. Pourtant, le comportement des clubs ressemble à celui d’un consommateur qui va faire ses achats de l’autre côté de la frontière. Ou encore au vôtre lorsque que vous faites des choix dans le rayon des fruits et légumes au supermarché. Votre soutien aux producteurs et aux commerçants helvétiques s’arrête souvent à votre … porte-monnaie !
Le dilemme peut être d’ordre moral aussi. Et contrairement aux clubs, personne n’est là pour juger vos choix personnels. Vous seriez nettement plus embêté sinon, avouez-le.
Au-delà des considérations philosophiques, les arguments contre l’augmentation des étrangers pullulent. Celui qui est le plus souvent mentionné, et le moins percutant, c’est la qualité de notre équipe nationale. Tout simplement parce qu’aucun de nos meilleurs Suisses ne perdra son job le cas échéant. Et si cela arrivait, ça signifierait que ce joueur n’avait rien à faire avec la Nati.
On évoque aussi que nos meilleurs Helvètes auraient un rôle plus effacé et moins de temps de glace. Je répondrais que si un top joueur suisse perdait sa place au profit des étrangers numéro cinq à dix dans le hiérarchie de son équipe, c’est qu’il ne mérite pas de jouer contre les meilleurs des pays représentés au niveau international.
Faites la courte liste des éléments de la Nati qui régresseraient dans le line-up avec l’arrivée d’ouvriers Slovaques, Autrichiens ou Nord-Américains de seconde zone. Car c’est bien de ce type de joueurs dont on parle ici. Des étrangers bon marché qui débarqueront en chaloupe pour remplacer nos employés de soutien jugés trop dispendieux. Et qui ne représenteront pas de réelles menaces pour nos stars.
Notez que cette théorie est valable uniquement dans le cadre de l’application d’un plafond salarial, sans quoi les clubs les plus riches pourront se permettent des étrangers de premier plan. Ce qui créerait l’effet inverse de celui souhaiter.
Les directeurs sportifs l’avouent. Le poste de gardien est celui qui serait le plus affecté par un nouveau gentlemen agreement sur les importés. Car il existe une rareté évidente sur le marché suisse pour ce poste primordial. Et il est impossible de remporter un titre sans un gardien de premier plan, idéalement suisse. Puisqu’aligner un gardien étranger limite les options pour les joueurs de champs avec seulement quatre mercenaires.
Donc fini les salaires entre 600'000.- et 800'000.- pour des portiers suisses. Il ne serait en effet pas difficile de trouver d’excellents gardiens qui végètent en AHL pour une bouchée de pain. Même certains remplaçants de NHL ne gagnent pas des sommes exorbitantes. J’estime aussi que plusieurs équipes pourraient opter pour un deuxième gardien étranger à rabais. Beau, bon, pas cher !
C’est une évidence mathématique. Les places dédiées aux jeunes Helvètes seraient rarissimes dans cette nouvelle configuration. Mais il ne faut pas tomber dans l’extrême et affirmer que les clubs n’auraient plus d’intérêt à former des joueurs. Il y aurait encore un minimum de douze Suisses en uniforme à tous les matches, soit plus de 50% de l’effectif.
Restons calmes et respirons par le nez. Nous ne sommes pas à la veille d’une votation populaire sur le sujet. Et surtout évitons les campagnes sur la peur du changement dont certains partis politiques se délectent.
Dans ce contexte plus compétitif pour atteindre la grande ligue, la planche de salut des jeunes talents pourrait venir d’un plafond salarial. Parce que si les clubs étaient limités par un budget maximal, ils pourraient être contraints d’engager des jeunes à moindre coût après avoir dépensé allègrement pour leur noyau de vedettes.
Un genre d’effet collatéral dont la jeunesse pourrait peut-être bénéficier au final. À l’exemple des contrats d’entrée en NHL.
Le statut des étrangers avec licences suisses suscite aussi beaucoup d’incompréhension. Car une trentaine de joueurs sous contrat pourraient voir leur statut changer sans préavis pour des raisons tout autant obscures qu’à la limite de la légalité. « Ils n’ont qu’à se naturaliser » m’a balancé un interlocuteur du milieu sur un ton donneur de leçons.
Comme par hasard, l’idée de faire basculer leur statut actuel vers celui d’étrangers viendrait des équipes non frontalières. Elle viserait, entre autre, à empêcher Lugano, Davos et Genève de profiter d’un bassin de recrutement plus large relié à leur situation géographique. Une idée lumineuse dont les premiers échos ont été entendu après les deux titres de Genève en M20 élite.
On peut logiquement imaginer que la Swiss League profiterait du système puisqu’une soixantaine de joueurs suisses pourraient chavirer dans la deuxième division. Ce qui contribuerait sans aucun doute à relever le niveau et l’attractivité du championnat. Sauf si on passe à quatorze équipes en National League.
Idem pour la MySports League avec l’effet domino. La troisième division du pays qui pourrait d’ailleurs voir son statut fragilisé par une ligue élite pour les moins de 22 ans telle que projetée par la fédération.
Même en essayant, rationnellement, de comptabiliser le pour et le contre d’une telle révolution, je n’arrive pas à me convaincre de ses bienfaits pour le niveau et l’attractivité de notre championnat. De plus, j’ai le sentiment que passer de quatre à dix importés, en plus de sacrifier des joueurs suisses sur l’autel de l'économie, ne garantit en rien la baisse du niveau des salaires escomptée.
Une opinion également basée sur des valeurs personnelles comme pour une majorité de fans qui semblent opposés à ces changements. Il serait d’ailleurs intéressant de décortiquer les raisons qui se cachent derrière cette forme d’immobilisme. J’imagine aisément que si certains défendent l’idée qu’on ne change pas une recette qui fonctionne, d’autres ont sûrement peur de perdre les dernières sources d’identification avec leur club de cœur.
Je crains qu’il faille désormais accepter le fait que, quoiqu’on en pense, la National League atteindra ses objectifs. Et que malgré la levée de bouclier actuelle, certainement éphémère, les clubs nous auront à l’usure d’une manière progressive. Tout en faisant preuve de la grande ouverture d’un ancien politicien québécois qui disait : « quand nous voudrons connaitre votre opinion, nous vous la donnerons ».
C’est comme ça.
Das ist so.
It is what it is.
Bonne semaine à tous
Stéphane